Alors, voilà
notre bibliothèque est en danger de fermeture…
En Afrique, un
ancien qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle. Et une bibliothèque qui
ferme, c'est quoi?
En haut lieu,
il a été estimé grâce à de savants calculs que pour être rentable et mériter la
visite bisannuelle du bibliobus (bus de la BDP - Bibliothèque Départementale de Prêt -
service financé par le Conseil Général de l'Aisne, chargé du renouvellement
littéraire des bibliothèques), notre petite bibliothèque devrait ouvrir 4h par
semaine au minimum…
Eh oui,
m'sieurs, dames, en ces temps où l’on vous parle, le service public est devenu
une entreprise, et en bonne entreprise qu'elle est, on lui demande d'être
rentable… Et ça, il l'a dit le responsable de la Bibliothèque
Départementale de Prêt, tant que l'on ouvre pas 4h par
semaine, ce n'est pas rentable pour lui de venir nous approvisionner en livres…
Alors, calculons
la logique implacable et arithmétique qui met en danger notre bibliothèque,
seul espace culturel d'une commune de 600 âmes…
Le bibliobus part,
chargé de livres, de Soissons pour nous approvisionner une à deux fois l'an…
allez soyons magnanimes, disons une et demi!
Ce bus parcourra
donc 43,83km (si l'on en croit Mappy.com) et pour le peu qu'il ait un vent
contraire, l'ABS lourd et le diesel toujours à 1€15/litre à la pompe, on peut
estimer qu'un aller revienne à 11€09, soit 22€18, l'Aller-Retour. Ceci si l'on
considère (fait peu probable), qu'il ne fasse pas un pèlerinage de son voyage
et, de fait, ne consacre son trajet qu'à parcourir Soissons-Festieux…
Deux
bibliothécaires de la BDP accomplissent cette mission. Estimons qu'ils consacrent 2h00 au chargement et
déchargement des ouvrages, 1h30 au trajet et 1h30 à la livraison en soi, on
obtient donc 5h de travail que je multiplie par 2 employés rémunérés environ
25€/heure, toutes charges et taxes comprises, soit 250€ pour une livraison
d'ouvrages. Ce qui nous amène à un coût total de 272,18€ pour un voyage. Soit
408,27€ pour un voyage et demi.
Au regard des
horaires actuels d'ouverture de notre bibliothèque (0h30 le mardi soir et 1h le
mercredi, hors vacances scolaires, soit environ 35 semaines), nous comptons
52h30 d'ouverture et 70 permanences.
Chaque permanence
de bibliothèque dans notre village réclamerait donc un investissement de 5,83€
par la BDP (408,27€ / 70), ce qui est donc visiblement bien trop, bien plus que ce qu'elle
peut nous accorder…
Oui, nous le
savons, ce passage fut pénible, mais on vous avait prévenu, c'est une leçon de
libéralisme, ça n'a pas vocation à être distrayant… !
Vous
remarquerez qu'il n'est nullement tenu compte dans ces savants calculs des 2300
ouvrages qui sortent à l'année, du carrefour culturel que représentent ces 90
mn d'ouverture hebdomadaire, de ce rempart contre l'illettrisme et l'isolement
que chaque livre, chaque lieu culturel représente, surtout dans un département
rural comme l'Aisne…
Non, l'aspect
qualitatif importe peu, car de la culture, on expurge les lettres au profit des
chiffres…
Alors,
puisqu'ils importent tant, regardons les ces chiffres et de plus près, s'il
vous plait!
2300 ouvrages
prêtés en 70 permanences, ce n'est pas moins de 32 ouvrages mis en prêt à
chaque permanence!
Que sont 5,83€
d'argent public quand ils permettent à du public de milieu rural, de toutes
classes sociales confondues et de tous ages, d'emprunter 32 ouvrages ? 18
centimes d'€uro de rempart contre l'illettrisme, contre les inégalités d'accès
à la culture, contre l'isolement, la solitude... est-ce tant que notre Conseil
Général ne puisse les supporter? 18 centimes d'€uro…
Vous voyez, un
chiffre ce n'est pas bien malin, on en fait ce qu'on en veut et surtout on lui
fait dire ce que l'on veut… Si bien qu'au terme de notre démonstration, vous ne
retiendrez que les 18 centimes d'€uro de rempart contre les inégalités,
l'acculturation, etc... Et vous trouverez alors les responsables de la BDP bien mesquins de rechigner
à les dépenser pour une si noble cause.
D'autant que si on
cumule sur une année les frais de fonctionnement de notre bibliothèque, on sera
bien surpris du dérisoire de cette somme rapportée au nombre d'ouvrages
empruntés. Il serait d'ailleurs intéressant de pouvoir comparer ce ratio avec
nombre d'autres établissements du même type...
La bibliothèque
de Festieux ne vit que d'une subvention municipale qui permettrait l'achat
d'une 30 aine de livres et l'abonnement à 3 revues à l'année, car elle fait le
choix de la gratuité afin d'offrir un libre accès à tous les habitants de la
commune, quel que soit leur niveau de vie. Sans le prêt des ouvrages de la BDP qui offre un
renouvellement permanent, la bibliothèque fermera ses portes, incapable qu'elle
deviendra d'apporter satisfaction aux lecteurs du village.
Pourquoi cette
épée de Damoclès ?
Parce que la BDP exige pour continuer
d'assurer ce service (financé, est-il utile de le rappeler, par nos impôts…)
quatre à cinq heures d'ouverture hebdomadaire et la formation des bénévoles.
Car visiblement, on suppose que tel un supermarché, plus une bibliothèque est
ouverte, plus elle attire de clients... lecteurs… pardon !
Pourtant, à
Festieux, nous avons tenté plusieurs créneaux pour répondre au mieux aux
attentes des habitants et multiplier nos ouvertures ne change rien, si ce n’est
éparpiller les lecteurs dans le temps… et épuiser les bénévoles en attentes
fastidieuses et peu épanouissantes… !
Rappelons que
la bibliothèque est tenue depuis son origine par des personnes de bonne volonté
qui offrent de leur temps pour le bien être de la communauté. Tout responsable
associatif sait à quel point le bénévolat est en difficulté : les bonnes
volontés manquent, du coup, les rares bénévoles ne sont que deux pour assurer
les 70 permanences annuelles, et ce depuis de nombreuses années maintenant...
Comment leur
demander de tripler leur investissement hebdomadaire et d'aller, qui plus est,
dépenser du temps et de l'argent en formation, certes utiles pour des
professionnels des bibliothèques mais qui ne devraient pas devenir le Sésame de
la survie des petites bibliothèques !
A croire qu'en
haut lieu, on n'ait qu'une vague idée du bénévolat et plus vague encore de la
vie des villages…
Si cette
logique libérale incompatible avec la culture (Malraux, réveille-toi, ils sont
devenus fous!) se poursuit dans ses principes rigides, sous le glaive du
Conseil Général, la bibliothèque de Festieux périra… et d'autres viendront
grossir le cimetière des bibliothèques mortes et enterrées parce que non
rentables…
Les bibliothèques
des "petits patelins" chantés par Kamini, emblèmes de l'Aisne.
Certes, nos bibliothèques à nous, "les petits patelins", elles ne
sont pas clinquantes, ni reluisantes, elles ne ressemblent en rien à ces grands
bâtiments beaux mais vides où règne le silence, non… Si elles ouvrent peu,
elles ont le mérite d'être des lieux de vie et non des sanctuaires à livres,
des lieux où l'on parle, où l'on se presse, où l’on vient rompre son isolement,
confier au détour d’une conversation sur le livre, les petits et grands tracas
de la vie…
Le directeur de la Bibliothèque
Départementale de Prêt nous a dit que ce n'était "pas à la BDP de porter des
bibliothèques comme la [notre] à bout de bras", mais si ce n'est à être au
service du plus grand nombre (à savoir les communes rurales) à quoi sert-elle
donc dans un département rural comme le notre? Et puis nous tenons à le
rassurer, ce n'est pas la BDP seule qui maintient ce service à bout de bras dans les petits patelins, non, ce
sont les bénévoles qui assurent tout de même le plus gros du travail… Un coup
de pouce financier par le prêt de livres divers et variés, est-ce donc trop
demander?
Nous sommes
écœurés par cette décision qui met en péril notre bibliothèque et invitons ceux
que cette situation décevra et énervera, ceux qui partagent ces mêmes
perspectives dans leur commune à résister avec nous contre cette chronique
d'une mort annoncée!
Nous sommes
écœurés par cette décision qui met en péril notre bibliothèque et en appelons
au bon sens de ceux qui auraient le pouvoir de changer ces règlements injustes
et inadaptés qui mettent à pied d'égalité les grosses bibliothèques dont les
conservateurs sont salariés avec des bibliothèques de peu de moyen et de bonne
volonté…
Merci de nous
rejoindre et de nous soutenir dans notre lutte contre la fermeture de notre
bibliothèque, mais par delà même, puisqu'il s'agit de refuser la logique
libérale du service public qui ferme nos tribunaux de proximité, nos bureaux de
poste, qui bientôt imposera aux postiers de ne pas faire un détour pour
remettre le courrier des foyers isolés…!
La France n'est pas qu'un ensemble
de villes dans lesquelles doivent s'accumuler richesses et trésors culturels,
dans un désert rural!
Nous avons
connu l'exode rural des années d'après-guerre, luttons contre un nouvel exode,
celui du service public!